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Interview
de Kaye Mortley
Productrice
indépendante basée à Paris, elle travaille pour France
Culture (notamment pour l'Atelier de Création Radiophonique) ainsi
que pour certaines radios européennes et pour l'Australian Brodcasting
Corporation. L'extrême finesse de ses mixages, la qualité
formelle de ses productions lui ont valu d'être primée dans
de nombreux festivals internationaux comme le prix Futura de Berlin (1979,
1985, 1991), le prix Europa (1998, 2001).
Philosophie
d'un stage
Qu'est-ce que le documentaire
radiophonique ? Est-ce si loin de la radio du quotidien ? Où est
le réel ? Qu'en faire ? Depuis 1990, la réalisatrice australienne
Kaye Mortley enseigne à Arles le documentaire à de jeunes
adultes intéressés par les possibilités du médium
radiophonique. Rencontre.
La radio occupe une place centrale
dans votre vie. Avez-vous encore le temps de lécouter ?
Jécoute peu la radio en tant que telle
- les informations, la météo, latelier et quelques
autres émissions. Par contre, jécoute énormément
démissions sur cassette ou CD, qui me sont envoyées
du monde entier.
Vous animez un stage sur le documentaire
de création, quel en est le propos ?
Il n'est pas différent de celui qui anime mon propre travail qui
cherche à interroger la spécificité même du
documentaire de création : explorer les frontières du réel
et de la fiction, forger une syntaxe et un vocabulaire radiophoniques,
construire un récit qui ne peut exister pleinement que dans cet
espace dématérialisé qu'est la
« radio ».
Comment ce stage se déroule-t-il,
pratiquement ?
Compte-tenu du fait que les stagiaires viennent souvent d'horizons très
différents et que souvent certains d'entre eux n'ont jamais fait
de radio, j'ai (le plus souvent) opté pour un projet de groupe
: tous les membres du groupe travaillent ensemble à l'élaboration
d'une petite émission, où (on espère) chaque personne
pourra trouver sa place. Le sujet (toujours assez ouvert) est donné
dès le premier jour (quand il n'est pas proposé en amont
du stage). Les principes d'enregistrement sont expliqués à
ceux qui ne les connaissent pas. La période d'enregistrement est
de trois ou quatre jours. Parallèlement, la matière récoltée
est montée, les stagiaires choisissant souvent de travailler par
deux ou par trois. Et dans des discussions de groupe, on essaie d'analyser
pourquoi certains éléments sont retenus, d'autres pas ;
ce qui est bon radiophoniquement, ce qui ne l'est pas. A partir du quatrième
jour, on commence la construction de la pièce sonore, ce qui prend
d'habitude au moins deux jours. C'est là que ce qui constitue la
syntaxe d'une véritable écriture radiophonique est ciblé.
La matière sonore est ensuite chargée dans l'ordinateur,
et disposée telle qu'elle sera mixée. Suit le mixage. Et
l'écoute analytique du produit. Il serait évidemment possible
de procéder tout autrement dans un stage dont tous les participants
seraient de même niveau, ou qui durerait plus longtemps qu'une semaine.
Personnellement, j'ai toujours voulu essayer de réaliser plusieurs
productions différentes à partir de la même matière.
Ou bien, demander à chaque stagiaire de faire un petit module,
afin de finir avec toute une série de petites formes qui pourraient
être agencées de telle sorte qu'elles fassent un tout. C'est
peut-être ce que nous ferons une prochaine fois ?
Comment vous-même avez-vous
appris la radio ?
Jai appris le métier d'auteur radio sur le tas. Cest
tout à fait par hasard que jai commencé à travailler
à la radio, dans le service étranger de lAustralian
Broadcasting Corporation. On ma donné un Nagra, en me disant
daller interviewer je ne sais plus quel français
? Eric
Tabarly ou André Courrèges, peut être.
Peu après, jai eu un poste au service des dramatiques et
des documentaires, où circulaient énormément de bandes
venues de létranger dune toute autre facture que celles
qui se faisaient en Australie à lépoque. On ma
laissé du temps, simplement pour écouter, sans me demander
de réaliser quoi ce soit ; jen serai toujours très
reconnaissante car, pendant tout ce temps de réflexion, jai
pu commencer à imaginer le type démission que jaimerais
faire moi-même.
Ensuite, jai obtenu une bourse pour venir en stage, à lAtelier
de création radiophonique ; une autre pour aller à Y.L.E,
Finlande, deux expériences importantes.
Quels sont
les moments de radio qui vous ont marqué en tant qu'auteur ?
Un moment qui m'a beaucoup marquée (traumatisée) c'était
d'entendre passer à l'antenne la première émission
que j'avais réalisée. D'une part, j'avais du mal à
croire que cette chose faite d'air puisse exister si fortement; d'autre
part parce qu'elle existait si fortement, j'entendais tout ce qui n'allait
pas...Comme auteur, les moments forts sont les moments de mixage, de création,
en équipe
lémission vous quitte, dune certaine
façon, en même temps quelle prend forme.
Quels plaisirs la radio vous procure-t-elle ?
Pour aller un peu vite, je dirais que le plaisir que la radio me procure
est celui de créer, à partir de rien, quelque chose (un
univers, un moment, une émotion) qui nexistait pas auparavant.
Quelque chose qui est destiné à aller vivre sa vie dans
le monde, dans la tête et les sensibilités des autres. Il
y a le plaisr de créer ; et le plaisir de communiquer.
Comment se détermine le choix des sujets que vous traitez ?
On fait évidemment toutes sortes démissions
(et
sujet nest pas un mot que jutilise personnellement) qui naissent
toujours dune nécessité intérieure qui restera
normalement non-dite. Ce nest pas ma vie que je raconte, je ne fais
pas des émissions pour moi-même (si je les faisais dans un
contexte dart, pour un musée, ce serait peut être différent,
et encore
..). Ce sont des émissions qui sont destinées
à être diffusées par une radio publique, et qui sont
pour tout le monde. Il faut que ce " je " qui est à lorigine
de tout ce que je fais, devienne un autre, dautres
sinon lémission
ne peut pas se faire. Le sujet, donc, importe peu. Ce qui compte cest
le nerf-à-vif, caché derrière le " sujet ".
Quelle est la situation de l'art radiophonique aujourdhui ?
Lart radiophonique me semble se porter très bien
(ou
est-ce plutôt le désir de faire de lart radiophonique
?) et surtout si lon veut dire par " art radiophonique "
ce qui se dit " art acoustique " et qui pourrait exister tout
aussi bien dans un musée ou dans une salle de concert. Quant au
genre qui, pour moi, est quintessentiellement radiophonique : le film
sonore (ou, dun réel poussé à lextrème,
nait la fiction), il me semble quil se fait, malheureusement, moins.
Il y a des documentaires, des paysages sonores, des idées vêtues
de somptueux habits sonores
mais très peu de films radiophoniques.
Pourquoi cet art de la radio est-il cependant si peu encouragé
aujourdhui ?
Cest peut être justement parce quelle est légérère,
invisible, et relativement économique que la radio est peu valorisée.
Une vraie uvre radiophonique suppose un énorme investissement
de temps, plus une certaine somme dargent ; pourtant, elle passe
sans laisser de trace, sauf dans lesprit de celui qui la reçoit.
Pour le producteur, le réalisateur, faire de la radio est une activité
assez " zen ". Une uvre radiophonique ne simpose
pas plus que la lune devant la fenêtre de basho. Mais reconnaître
ce qui est lessence de la radio est une chose ; en faire une vertu
une autre. Et ce nest pas parce que la radio est légère,
éphémère, invisible et relativement économique
quil ne peut pas y avoir des cours de radio dans les universités,
des publications, davantage de critiques dans la presse, des séminaires,
des systèmes de subvention plus élaborés, etc.
Cette radio a-t-elle encore sa place chez les jeunes ?
Il me semble mais je parle un peu ex-cathedra que la génération
" walkman " et la génération " technologique
" (ordinateurs-sons-bricolés-radios-locales) sintéresse
à la radio à la fois comme technique et aussi comme forme
dexpression. Cest un intérêt assez libre, irrespectueux,
générateur de nouvelles formes.
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