Dominique Petigand
Dominique Petitgand réalise des pièces
sonores, où la voix , les silence, les bruits et la musique construisent,
par le biais du montage, des micro-univers où l'ambiguité
subsiste en permanence entre un principe de réalité (l'enregistrement
de la parole de gens qui évoquent leur vie quotidienne) et une
projection dans une fiction onirique, décontextualisée et
atemporelle. Un espace mental où la répétition, le
flottement des identités, des lieux et des structures temporelles
évoquent le mouvement même de la construction d'une mémoire.
L'utilisation du son le place dans un territoire artistique singulier
et mouvant : il montre son travail aussi bien lors d'expositions, que
de festivals de théâtre, cinéma ou musique. Il diffuse
des pièces sonores sur disque, à la radio, mais aussi lors
de séances qui s'apparentent à des concerts dans l'obscurité.
Extraits
de l'entretien avec Yves Chapuis
"dominique petigand (textes et sons)" 2001-
& gb agency
Vous utilisez plusieurs modes de diffusion de
votre travail qui vont du support CD aux concerts, en passant par des
installations et des diffusions dans le noir qui ont à voir avec
les conditions du cinéma. Chaque pièce que vous réalisez
requiert-elle un mode de diffusion particulier ?
Non, il existe plusieurs modes pour faire entendre
une pièce. En revanche, une pièce peut changer de durée
ou de format, le rapport au silence peut être différent,
selon le mode de diffusion que je choisis. J'accorde une place de plus
en plus importante au silence, sa nature et sa durée. Le silence
est perçu différemment selon le mode d'écoute. Le
jeu sur l'attente ou la surprise varie selon que l'audition se fait à
plusieurs, assis dans le noir ou seul, immobile ou en mouvement dans l'espace.
Pour chacune de mes pièces la variation du dispositif d'écoute
influe sur sa réception, elle modifie sa perception et multiplie
les résonances. Par exemple, un disposotif mettra davantage en
valeur la dimension cinématographique ou littéraire d'une
pièce tandis qu'un autre la rendra plus musicale.
Votre travail apparait régulièrement
dans des lieux dévolus aux arts plastiques et visuels. Quel rapport
entretenez-vous avec l'oeuvre en tant qu'objet ?
Je suis plus à l'aise avec des notions de
temps, de durée, de séquence, de regard, de champ et de
hors-champ. C'est un vocabulaire lié à la musique et davantage
encore au cinéma. Je chemine parmi ces notions là. Par exemple,
la notion du plein et du vide correspond au rapport qui s'établit
entre le silence qui suit ou précéde un fragment sonore.
Le déroulement du temps est plus que primordial pour la perception
de mes pièces. L'espace apparait comme support de résonnance
et d'écoute pour ces choses qui se déroulent dans le temps.
Je ne suis pas dans des rapports statiques, ni même mobiles. C'est
quelque chose de mental. C'est au niveau de la perception, au niveau de
ce qui se passe dans la tête des auditeurs que se situe pour la
recherche d'une forme. Je n'ai pas l'impression de fabriquer un objet,
je déclenche plutôt des perceptions mentales, des faits de
réflexion, de pensée, de mémoire, d'imagination.
Mon travail a plus à voir avec le phénomène qu'avec
l'objet.
Ce qui marque à l'écoute
de chacune de vos pièces, c'est la perception d'une construction
spatiale, à partir de ce qui est donné à entendre.
C'est à cet endroit notamment que votre travail devient visuel.
Cette construction se déploie sur plusieurs niveaux, il y a comme
une interaction de divers espaces, de divers champs, mais qui ne correspond
pas à proprement parler aux champs/contre-champs/hors-champ cinématographiques,
parce que le rapport entre ces champs est simultané. Il ya un espace
propre à la situation de l'enregistrementqui intègre la
personne qui parle et celle qui écoute, en l'occurrence vous. L'auditeur
prend immédiatement la mesure de cet espace, et de fait, sans doute
parce qu'il ne vous voit pas, prend la mesure de la distance qui le sépare
de vous. Et puis il y a l'espace, ou les espaces, qui se déploient
à l'intérieur de ce que la ou les voix racontent.
Il y a une mise en perspective des choses. C'est cette mise en perspective
qui m'intéresse. Mon travail consiste à rendre perceptible
des choses, c'est un jeu de distances, de mise à distance.
Vos pièces, qui ont été
à plusieurs reprises qualifiées de "cinéma sans
image", fonctionnent comme des moteurs à projection pour l'auditeur.
Elles sont en ce sens résolument anti-spectaculaires. Cette anti-spectacularisation
liée à l'activité mentale qu'implique nécessairement
leur écoute est d'autant plus réelle que l'auditeur ne se
trouve pas toujours en présence d'une seule oeuvre mais d'une série
d'oeuvres, autrement dit d'un travail, d'une recherche qui se déploie.
D'ailleurs, l'un des modes de diffusion qu'il vous arrive de proposer
est celui de la consultation d'une documentation sonore.
Je travaille sur la parole. J'enregistre des gens qui parlent. Ma méthode
consiste d'une certaine manière à prendre des gens au mot
de leur propre parole. Je les dirige plus ou moins, c'est un mélange
entre l'improvisation et la direction d'acteurs. Le cheminement d'une
pensée, que ce soit celle de l'auditeur et bien avant celle-ci,
celle de la personne que j'enregistre, constitue le matériau même
de mon travail. De l'enregistrement à la diffusion c'est la même
qui se retourne. La place de l'auditeur est donc déjà présente
à l'enregistrement. Par ailleurs, les machines que j'utilise sont
des instruments de regard et d'un point de vue technique, il y a toujours
de la distance entre le micro et la source du son. Il y a toujours de
la distance et de la vie, de l'espace entre les choses.
Pourriez-vous préciser
cette idée selon laquelle la place de l'auditeur est présente
à l'enregistrement ?
La place de l'auditeur est bien évidemment
structurante pour chacune de mes pièces. Celui qui est présent
à l'enregistrement, c'est moi l'auditeur particulier, je découpe,
construis, dirige les choses en direct, j'influe sur les flux.
Qu'est ce qui motive la présence
d'une musique dans une pièce ?
La musique prend souvent le relais de ce qui est de l'ordre de l'affect.
Elle autorise d'une certaine manière l'intellect à faire
une pause. Elle peut correspondre à un silence, qui se donne à
entendre et amène autre chose. Elle repose la lecture. Quand on
lit, on lève parfois les yeux tout en restant dans la même
tension. Comment faire en sorte que l'auditeur soit toujours présent
sans avoir à lui donner de nouvelles informations ?
Nombre de vos pièces se
présentent comme de petites histoires. Vous aimez les histoires
?
Ce sont des écrits, parce qu'il s'agit en premier lieu de paroles.
Les personnes qui parlent ont quelque chose derrière elles dont
elles deviennent le narrateur. Ce différé m'intéresse
car c'est là que les choses se transforment en langage, qu'elles
passent par le filtre d'une pensée qui les raccourcit, les distant,
les met en perspective ou en valeur. C'est un jeu de fabrication qui est
l'équivalent de ce que je fais au montage et à l'enregistrement.
Le direct de mes pièces est celui d'une pensée qui s'énonce,
d'une forme en train de se créer sous nos oreilles.
|