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Yann Paranthoën
Yann
Paranthoën est reconnu comme le maître incontesté du
documentaire sonore.
En tant qu'ingénieur du son, son nom est associé à
de nombreuses émissions de France Culture et à l'Oreille
en coin de France Inter. En tant qu'auteur, il a produit des oeuvres incontournables
où s'affirme sa conception de la restitution du réel comme
sculpture sonore et composition à
part entière.
©
Janneth Rodriguez, arles, 1999
Certaines de ces œuvres, dont plusieurs maintenant éditées
sur CD, constituent des jalons de l'histoire du documentaire de création
à la radio : On Nagra, consacrée au célébre
magnétophone de reportage et de cinéma inventé par
Stephan Kudelski, Lulu, dédiée aux gens de ménage
de la Maison de la Radio, Paris-Roubaix fresque sonore sur la
légendaire course cycliste, Le phare des Roches-Douvres,
portrait du phare le plus éloigné des côtes en Europe,
la vie et la voix des gardiens, de leurs femmes restées à
terre.
Le
court document sonore associé à cette page provient d'une
rencontre publique animée par Jack Vidal à Arles en 1990,
aujourd'hui publiée dans l'ouvrage collectif "Yann Paranthoën,
l'art de la radio" dirigé par Christian Rosset et paru en
janvier 2010 (voir la rubrique "Vient de paraître" de
ce site).
Pour
l'édition en CD de Lulu, en 1992, Yann Paranthoën
s'était entretenu avec Catherine Portevin, de son parcours, de
son travail d'artiste sonore et de sa conception de la radio. En voici
des extraits.
Quels sont tes premiers
souvenirs de radio ?
La première fois que j'ai entendu la radio, c'était Radio
Londres, pendant la guerre. Chez mes parents en Bretagne, on recevait
magnifiquement la BBC. C'était magique. Depuis, j'ai toujours trouvé
qu'une bande magnétique avait quelque chose de clandestin, quelque
chose qui arrive d'on ne sait où, de loin. C'est pour cela peut-être
que je ne crois pas aux radios locales. Elles sont trop proches. La trop
grande proximité entre celui qui diffuse et celui qui reçoit
me gêne terriblement.
As-tu beaucoup d'esquisses
sonores dans tes placards ? Des travaux qui n'apparaissent jamais ?
O ui. Il y a des morceaux qui ne sont pas utiles dans le tableau final.
D'abord parce qu'à la radio, il y a toujours un minutage imposé
- l'équivalent du cadre. Si on sort du cadre, il faut ôter
telle ou telle séquence... Mais pour moi, elle a autant de valeur
que celles qui passent à l'antenne. Il faut faire des choix c'est
évident. Mais ce qui est important finalement, c'est ce qu'on enlève.
Dans tes documentaires,
il y a toujours un fil, un récit, une histoire...
Oui il faut une histoire...mais plusieurs lectures : Lulu, c'est l'histoire
d'une femme de ménage, c'est aussi une histoire esthétique
: les sons de la radio le matin. C'est aussi un monde réinventé
entre tous ces gens de ménage immigrés, qui parlent de leurs
pays d'origine. Il y a toutes les lectures possibles. Les mangeurs de
pomme de terre, de Van Gogh, c'est pareil : il y a d'abord une vision
documentaire et informative, au premier degré (les gens s'habillaient
de telle manière, etc.), puis une vision sociale, enfin il y a
la peinture. C'est fou ce qu'il y a d'informations dans ce tableau ! Lulu,
c'est aussi ça : il faut que Lulu elle-même puisse l'entendre
et s'y retrouver. Un travail ne peut être réussi que quand
tu n'imposes aucune lecture, que tu donnes à voir ou à entendre
plusieurs choses... Je me méfie des gens qui partent tout de suite
dans la fiction. C'est la porte ouverte à toutes les facilitées...
Tu brouilles les cartes, il n'y a pas de sens, pas d'histoire. Je les
appelle les "brouilleurs d'antenne" : quand on ne veut pas montrer
où l'on va, on met plein de choses ensemble que l'auditeur ne peut
pas lire.
Comment émerge
l'histoire, le fil ?
C'est le plus difficile : laisser l'élément sonore parler,
sans non plus se laisser séduire. Parfois, je dois gommer ce que
je voudrais entendre pour ne pas demander à un élément
ce qu'il ne peut pas donner. On a toujours tendance à se faire
plaisir et il faut se méfier de ne pas laisser apparaître
des choses qui ne sont que personnelles.
Quels sont les éléments
qui te séduisent ?
Souvent c'est tout d'un coup une situation que j'ai vécue "à
l'image". Je la revois d'ailleurs je me souviens toujours de tous
les personnages., comment ils étaient habillés, où
ils étaient placés, dans quel lieu. Mais ce qui me parait
clair, parce que j'ai l'image en tête, ne l'est pas forcément
pour l'auditeur. Alors je suis obligé de gommer l'image afin d'aller
vers une meilleure lecture pour l'auditeur. Il faut que ce soit lisible.
Comment travailles-tu
chaque élément ? Sais tu ce que tu vas en faire dès
la première écoute ?
Ca avance très lentement, c'est l'élément qui commande.
Un tailleur de pierre me disait qu'il ne pouvait attaquer certains travaux
difficiles(des ouvertures de portes, des travaux pour des églises)
que lorsqu'il les voyait finis. Un mixage, c'est pareil : je l'entends
avant de le faire. C'est comme ça que je débloque des situations.
L'autre soir, j'étais bloqué sur un élément
qui m'embêtait. Je n'y ai pas touché tout de suite, de peur
de tout défaire. Je suis venu ici prendre un pot, j'ai marché,
et, pendant tout ce temps je me disais : "Qu'est ce qui ne va pas
? " Maintenant, j'ai trouvé, et cette découverte ne
s'est pas faite sur le terrain. Ce n'est pas en studio qu'on a les idées.
Ca vient d'ailleurs : j'entends le son se mélanger, alors je peux
commencer. Le résultat ne sera pas tout à fait ce que j'ai
entendu, mais ce ne sera pas loin. Parfois aussi, le mixage idéal
que j'ai entendu n'est pas réalisable, alors je ne m'entête
pas : il faut composer avec l'élément. C'est mauvais de
contourner l'obstacle, de laisser tomber une difficulté en se disant
qu'on y reviendra plus tard... parce qu'on n'y revient pas. En radio aussi
il faut résoudre au fur et mesure. Je sais que tant que je n'aurai
pas rectifié les premiers épisodes du Tour de France, je
ne pourrai pas faire de nouvelles séquences. Il faut se libérer
la tête.
Ce qui vient s'appuie-t-il
toujours sur ce qui précède ?
Oui, et souvent très fort. Si ce qui précède n'est
pas abouti, la suite risque de basculer aussi. Je rencontre beaucoup d'écrivains
ici et je vois comment ils fonctionnent. Un écrivain dit qu'il
risque sa vie en écrivant. J'ai la même angoisse que lui
de l'accident mortel. Si je rate, cela peut être grave....
L'idée est-elle
plus difficile à porter quand on porte aussi le reste (sa réalisation)
?
Ca force à l'humilité. Ceux qui n'ont que l'idée
ont souvent un but précis : ils savent ce qu'ils veulent entendre;
mais s'ils ne pratiquent pas, s'ils n'ont jamais touché une bande,
ils vont imaginer en théorie quelque chose d'impossible à
réaliser. La pratique force toujours à l'humilité.
C'est l'outil qui produit
l'idée ou l'idée qui fait progresser l'outil ?
Ca vient de l'outil. Quand tout part de la réflexion, on ne peut
donner à un élément que sa propre idée. Alors
que quand on pratique, plusieurs idées émanent de l'élément
qu'il faut laisser aller.
Combien de fois un opérateur ou un monteur est obligé de
prouver sur pièces que ce qu'on lui demande est impossible. Le
montage à plusieurs, c'est terrifiant, mais il y a moins de folie
aussi : quatre personnes dans un studio, ça fait quatre avis différents.
Et de ces quatre avis, va émerger un schéma moyen. Il n'y
aura pas de démesure. Dès qu'une idée est projetée,
il y a immédiatement des auditeurs et des juges. Quand je suis
seul, je suis libre parce que je n'ai pas de témoin. Je me demande
comment font les cinéastes. La radio au moins, on peut la faire
seul, c'est un gros avantage. Enfin, la radio que je fais. Au quotidien,
on est tributaire des équipes, des fins de service, des horaires,
des dates de diffusion, etc. C'est pour cela qu'au quotidien, on n'aboutit
pas parce qu'il faut finir et qu'on censure les idées qui demandent
trop de temps de réalisation. C'est normal aussi : s'il n'y avait
que des gens comme moi, il n'y aurait aucun programme ! Il y aurait une
émission de temps en temps... La radio est un outil qui posséde
différents stades d'utilisation. On peut très bien faire
une excellente émission de radio tout en restant en deçà
des limites de l'expression. Pour arriver à l'expression, il faut
du temps, il faut pouvoir "bloquer son émotion sur une durée
longue".
Qu'est ce que l'"expression"
pour toi ? C'est un mot qui revient souvent dans ton discours ?
Je le préfère à "création", qui
est un mot un peu dangereux. L'expression, c'est d'aller au plus près
de ce que l'outil permet et le servir au maximum. Souvent on ne fait que
se servir de l'outil. Trop de gens se servent de l'outil pour propulser
un discours. On pourrait imaginer un bulletin d'informations vraiment
sonore de quinze minutes par jour. Je rêve de cela : habituer les
auditeurs à ce que seul le son donne l'information, cela n'arrive
jamais. Le plus souvent, l'information vient du présentateur, ce
qui n'est pas une image.
Tu maitrises la technique
comme aucun créateur de radio, et pourtant, tu sembles toujours
te méfier de la technique et de ses avancées ?
Stéphane Kudeski, l'inventeur du Nagra, le disait déjà
: il craignait que la technique n'évolue plus rapidement que l'interprétation,
que l'événement devienne l'enregistrement. Aujourd'hui,
le son numérique, le compact disc sont devenus l'événement
souvent au détriment
de l'interprétation. La technique ne peut rien pour l'essentiel,
c'est pour moi une certitude. J'ai mis du temps par exemple à travailler
en stéréo. J'ai eu la chance d'assister aux débuts
de la stéréo à la radio. On avait fait venir dans
le studio expérimental Brassens et Zavatta, le clown, pour tester
l'invention. Brassens a chanté, puis il a écouté
l'enregistrement et a dit: "Pour moi , la stéréo
ne change rien". Et il avait raison : la stéréo ne
peut rien apporter au chant de Brassens et à sa guitare sèche.
Et puis Zavatta est arrivé. Il a empilé des boîtes
avec des enfants autour de lui, et il a fait tombé les boîtes
. Et ça en stéréo, c'était magnifique ! Voila
une image de la radio qui m'est restée de ces essais. Enfin pas
exactement, parce que mon exemple tendrait à dire que la stéréo
, c'est un peu du cirque !
Ouvrages
de Yann Paranthoën disponibles en librairie et par correspondance.
YANN
PARANTHOËN, L’ART DE LA RADIO
Unis
dans un hommage collectif, plasticiens, écrivains et musiciens
révèlent l'apport de Yann Paranthoën à l'art
sonore d’aujourd’hui – une influence qui s’étend
au-delà des cercles radiophoniques, parce que l’œuvre
pose la double question de la forme sonore et de la restitution du réel.
Ils témoignent de sa passion pour le son.
Deux entretiens inédits, l’un avec Jack Vidal datant de 1990,
l’autre (probablement le dernier qu’il ait accordé)
avec Thomas Baumgartner datant d’octobre 2004, livrent sa réflexion
sur la « taille des sons ». Un CD de 50 minutes
donne à découvrir « Questionnaire pour Lesconil »,
qui en 1980 le révéla comme un auteur avec qui il allait
falloir compter. L’émission se déroule le temps d’une
journée : départ des bateaux, pêche en mer, vente
à la criée...
Un DVD de 110 minutes réunit 2 films mus par l’urgence de
transmettre le tranchant de sa démarche singulière. - "Au
Fil du son" de Pilar Arcila est un portrait en 54 min de Yann Paranthoën
produit par Mille et une films. "Check up du Nagra IV S 3328",
est un voyage tourné par Michel Follorou lors d’une visite
chez Nagra en Suisse en 1993.
Christian Rosset a coordonné ce projet collectif.
YANN PARANTHOËN, L’ART DE LA RADIO
156 pages illustrées, format 21x21cm,
1CD + 1DVD joints,
ISBN 978-2-9083-2518-8.
Prix public 49 euros TTC
Yann Paranthoën
PROPOS D'UN TAILLEUR DE SONS
L'auteur
livre ses réflexions de sculpteur de sons, engagé dans un
corps-à-corps quotidien avec eux. Son père était
tailleur de pierres. « Tout est parti de là », dit-il.
Tout, c'est-à-dire une passion de la radio, vécue de midi
à minuit, sept jours sur sept, dans les cellules de montage et
les studios de mixage. Recueillis par Alain Veinstein ces entretiens paraissent
dans une nouvelle version illustrée de photographies de François
Deladerrière et de Janeth Rodriguez.
72
pages illustrées
ISBN 2-908325-02-0
(toujours
disponible)
LULU
Cette Lulu ne doit rien à Berg et à Wedekind. C'est l'histoire
d'une femme de ménage, c'est aussi une histoire esthétique
des sons de la radio le matin. C'est aussi un monde réinventé
entre tous ces gens de ménage immigrés, qui parlent de leurs
pays d'origine. Il y a toutes les lectures possibles.
1
CD de 55 min. & + 1 livre de 160 p.
Texte intégral de l'émission
Préface de Christian Rosset
Entretien avec Catherine Portevin
Réf. PN 0461/11
co-édition phonurgia
Nova/Ina
(non disponible)
Autres émissions de Yann Paranthoën
Paris Roubaix (éditions Radio-France/Ina), 1 CD + 1livre (de nouveau
disponible)
Le Phare des Roches Douvres (Ouï-Dire), 2 CD
L'effraie (Ouï-Dire), 1 mini CD
Lulu (éditions Phonurgia Nova/Ina), 1 CD + 1livre (épuisé)
On Nagra (éditions Radio-France/Ina), 1 CD + 1livre (épuisé)
Portrait d'Irène Zack (Césaré/Ina), 1 CD
Vente par correspondance
Phonurgia Nova Éditions, 39, rue Genive. 13200 Arles, France.
Tél. : 04 90 93 79 79
Email : info(at)phonurgia.org
Blog : www.phonurgianova.blog.lemonde.fr
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